Dans le paysage des levées de fonds, le BSA-AIR (Bon de Souscription d’Actions – Accord d’Investissement Rapide) s’est imposé comme un outil souple et rapide à mettre en œuvre, particulièrement prisé pour le financement des start-ups en amorçage (early stage). Revue de jurisprudence par notre cabinet d’avocat.

Inspiré du mécanisme américain du « SAFE » (Simple Agreement for Future Equity), le BSA-AIR permet à un investisseur de souscrire un bon donnant droit, à terme, à des actions de la société émettrice, sans qu’une valorisation de celle-ci ne soit nécessaire au moment de l’investissement.
S’il n’est pas sans risque pour l’investisseur, le BSA-AIR permet ainsi de différer la négociation sur la valorisation d’une société, potentiellement impossible à réaliser lors de son émission compte tenu du stade très précoce de son développement.
À la croisée du droit des sociétés et du droit financier, le BSA-AIR continue, dix ans après son introduction en France, de soulever des questions juridiques complexes. Nous vous proposons ci-après une sélection de jurisprudences des dix-huit derniers mois concernant ce mécanisme. Faute de décision spécifique de la Cour de cassation, nous avons retenu quatre décisions de première et seconde instance apportant un éclairage utile sur les bonnes pratiques et les points d’attention dans la rédaction des documents.
[Suite de l’article ci-dessous]
Cet arrêt illustre les limites du devoir d’information, par la société émettrice, des investisseurs titulaires de BSA-AIR, qui ne deviennent associés qu’à la conversion des bons. Il convient en effet de faire preuve de prudence lors de la communication d’informations impliquant des tiers, afin d’éviter tout risque de mise en cause de la responsabilité de la société ou de ses dirigeants.
En l’espèce, l’ancien directeur général d’une SAS contestait sa révocation, qu’il estimait abusive. Il estimait notamment que le président n’aurait pas dû informer les investisseurs titulaires de BSA-AIR de la décision envisagée et des motifs retenus (notamment l’existence de différends et « des irrégularités de dépenses »), avant la tenue de l’assemblée générale appelée à décider la révocation. Il aurait ainsi diffusé auprès de personnes non associées des informations confidentielles sur la gouvernance de la société, anticipé le vote des associés prévu 18 jours plus tard et manqué à l’obligation de loyauté due par la société à son dirigeant social.
La cour d’appel confirme que les investisseurs porteurs de BSA-AIR n’avaient pas à recevoir les mêmes informations que les associés. Cette communication, qui rendait publique la mesure de révocation et son contexte, a été jugée vexatoire. L’argument de la société, fondé sur un devoir d’information prévu par l’accord AIR, est rejeté : ce devoir ne concernait que les risques pour l’activité ou les perspectives de la société, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. En conséquence, la révocation est jugée abusive et la société condamnée à indemniser l’ancien dirigeant.
Enseignements pratiques :
Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt pour les start-ups levant des fonds ou les investisseurs titulaires de BSA-AIR :
La survenance ou non des évènements déclencheurs permettant l’exercice des BSA-AIR peut être source de tensions avec les associés et interroger la responsabilité des dirigeants. L’arrêt de la Cour d’appel de Douai illustre ces problématiques.
En l’espèce, les BSA-AIR pouvaient être exercés en une seule fois, soit lors de l’un des quatre événements déclencheurs prévus, soit à l’expiration d’un délai de quatre ans, avec des conditions moins avantageuses dans ce dernier cas. Aucun évènement n’étant survenu, les bons ont été exercés sur la base de la valorisation plancher fixée par le plan de BSA-AIR.
Dans ce contexte, un titulaire reprochait au président de la société émettrice de ne pas avoir convoqué une assemblée générale pour réaliser une augmentation de capital d’au moins un million d’euros (constitutive d’un évènement déclencheur). Il estimait qu’il s’agissait d’une faute de gestion et sollicitait une expertise judiciaire.
La cour d’appel a rejeté sa demande, considérant que le vote d’une augmentation de capital relève de la compétence de l’assemblée, non d’une opération de gestion imputable au président. Elle souligne en outre que le demandeur, également associé, pouvait lui-même convoquer l’assemblée, ce qu’il n’a pas fait. Faute d’irrégularité ou de contrariété à l’intérêt social, la demande d’expertise est ainsi jugée infondée.
Enseignements pratiques :
Cet arrêt illustre un risque critique lié aux BSA-AIR : la responsabilité des fondateurs lorsqu’ils manquent à leur obligation d’information sur la situation de la société. Une fausse déclaration, jugée déterminante pour le consentement de l’investisseur, a conduit la cour à les condamner à des dommages-intérêts pour perte de chance.
En première instance, il avait été retenu que les représentants d’une société émettrice de BSA-AIR avaient manqué à leur obligation d’information envers l’investisseur. Lors de la souscription, ils avaient affirmé que la société n’était pas en cessation des paiements, alors qu’elle l’était depuis quatre mois. De plus, les documents transmis ne permettaient pas à l’investisseur d’évaluer la situation financière indépendamment des déclarations des fondateurs.
Les fondateurs soutenaient que l’investisseur, ayant la qualité d’investisseur averti, avait le devoir de se renseigner et que son ignorance était illégitime. La cour rejette cet argument :
La cour conclut que les fondateurs ont manqué à leur obligation d’information envers l’investisseur et communiqué une information erronée, engageant leur responsabilité.
Enseignements pratiques :
Le tribunal affirme que l’action en remboursement d’un investissement AIR relève de la compétence du tribunal de commerce. Cette compétence s’apprécie au regard de la qualité d’investisseur participant au fonctionnement d’une société commerciale, et non de la seule qualité de non commerçant.
En l’espèce, un investisseur, personne physique, demandait le remboursement de son apport et soutenait que, n’étant pas associé, il pouvait saisir la juridiction civile. Le juge a rejeté cet argument et s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Commerce.
En effet, un litige relatif à la souscription de BSA-AIR qui donnent accès au capital d’une société commerciale, constitue une contestation relative à une société commerciale au sens de l’article L.721-3 du Code de commerce.
Enseignements pratiques :